Carnet de voyage intérieur
Journal de bord d’une exploratrice
Marie – Edith Charni Robinne s’est prise au jeu de l’exploration sensorielle de la flottaison pour accompagner son travail créatif. Elle nous livre ici le journal de bord de ces 6 premières séances de flottaison. Il s’agit d’un voyage intérieur intime, personnel et profond sur des thématiques essentielles.
Séance une
« La première séance de flottaison me semble très courte. Je ne rencontre pas de sensation de claustrophobie et aucune appréhension de m’étreint. En revanche, je suis toute étonnée de la teneur de mes images. Me voilà partie dans un voyage où les représentations collectives sont puissantes et fortement négatives. Heureusement, je n’éprouve pas d’adhérence affective et j’accepte ces images et ce voyage comme une chemin d’enseignement. Les images rencontrées font écho à mon folklore personnel mais n’enlève rien à la justesse que j’éprouve en les vivant dans mon corps.
Me voilà retraversant de grands moments de l’histoire qui se conjuguent avec violence et destruction. La manière dont elles défilent en moi se focalisent plus particulièrement sur la violence faite aux femmes puis plus précisément faite au principe féminin qui existe tout autant chez les hommes.
Je traverse en vrac les camps de concentration, l’inquisition, la chasses aux sorcières, les pogroms.
Et s’impose à moi que ces actes de destruction de l’humanité cherche à détruire le principe féminin que se soit chez les femmes, ce qui est le plus évident mais aussi chez les hommes.
Au début était la terre mère, les déesses mère et l’univers s’organisaient autour de cette prééminence du principe féminin. L’homme qui advenait à la conscience se devait de reconnaitre cette puissance existante aussi en lui et à la faire grandir pour accéder lui-même à son essence divine.
Ainsi, une oeuvre alchimique entre masculin et féminin pouvait se concrétiser.
Au lieu de cela, les hommes percevant la force du principe féminin et l’identifiant uniquement aux femmes – qui de la manière la plus évidente et basique, l’incarnent – devinrent celles qu’il fallait asservir et détruire par peur d’en être détruit tout autant. La guerre contre les femmes, contre le principe féminin existant en chaque être humain et l’exploitation de la terre était en marche. Plus cette guerre était déclarée, plus la peur grandissait chez les hommes, incapables de reconnaître ce qui était puissant en eux et s’exprimait dans une volonté sans cesse exacerbée de pouvoir, de force, de violence.
Les femmes ne sont pas alors en reste et se doivent d’adhérer à ce modèle, refusant de voir en elles-mêmes cet espace précieux.
Dans cette dérive, l’homme ne sait plus reconnaître sa puissance d’incarnation et la femme démunie et asservie par la peur de l’homme ne sait plus contactée sa propre puissance. Pour l’homme, la rencontre n’a pas eu lieu, pour la femme le lien a été brisé.
Ainsi pendant cette heure de flottaison, cette violence traversée s’accompagne d’images plus personnelles.
Quand une femme cherche à détruire, elle adhère par la peur à celui qui détruit. Quand elle ne détruit pas, elle sacrifie sa création pour investir le soin, la réparation. Mais cette réparation et ce soin sont des moyens utilisés pour amadouer, prendre soi-même le pouvoir sur l’homme et ainsi se protéger en prenant l’ascendance.
La séance se termine sur une note agréable, un registre de liberté et d’émancipation me traverse. Mon corps s’apaise de cette peur insidieuse et permanente. Cette peur permanente qui nourrit la culpabilité et donne des réponses biaisées. Je m’extrais du bassin avec l’ambition de ne plus avoir peur.
Séance deux
La séance reprend là où je l’ai laissé. Je rencontre cette fois-ci la peur des hommes. Leur peur due au contexte et à la violence de la vie. Cette peur les mobilisent aussi (il n’y a pas de raison qu’ils y échappent). Mon réflexe est de chercher l’information et de me connecter à eux par la culpabilité. Cela entraine une modalité de liens très archaïque. Je dois faire confiance à la manière dont l’information me parvient. La notion de mouvement se fait jour. Je suis mouvement, je porte le mouvement. Cette information que je connais puisque le mouvement fait partie intégrante de ma démarche artistique est complétée par un élément que je reçois avec stupéfaction et évidence.
Un registre de joie profonde m’envahit comme à chaque fois que je rassemble des éléments épars de moi.
Pour que mon rapport au mouvement soit prolifique et me corresponde totalement, je dois le vivre les yeux fermés. Être dans une absolue confiance. Cela vient éclairer ma manière de travailler. Comme une révélation sur une forme qui m’est propre et que je vis instinctivement.
Et donne une autre perspective à ma manière de construire certains projets qui donnent la part belle à l’improvisation même si cela complique mon travail avec des groupements parfois très vastes de personnes. Ce mouvement de création « Les yeux fermés » crée parfois un sentiment d’insécurité pour mon entourage. et pourtant je sais lucidement que cette forme est la mienne, fondamentalement.
La séance se poursuit. La sensation de plonger dans des profondeurs extrêmes. Je rencontre alors des personnes connues de mon entourage : je les perçois très alignées, dans un contact fort avec la lumière. Certaines sont vivantes d’autres appartiennent au monde des morts.
Séance 3
Elle est plus chaotique. Je chute dans un monde au début de l’humanité, me voilà chez les néandertaliens. Puis au-delà dans une humanité qui n’existe plus. Puis de nouveau je me sens prise à nouveau par la violence. Cette fois-ci dans une orientation plus précise : la violence sexuelle. Le mental tourne à plein. Il me faut fournir un effort important pour m’extraire et plonger plus profondément. Là je contacte à nouveau un registre de liberté avec un sentiment d’incarnation et non de dissolution.
Cette question du corps est prééminente. Je perçois que les femmes, quand elles sont atteintes dans leur corps, voient leur âme se séparer de leur corps et s’envoler pour rendre supportable la souffrance faite au corps.L’âme prend la forme d’un petit oiseau écarlate, voletant au loin et n’habitant plus le coeur des femmes. Mon oiseau écarlate est revenu et vient se poser en mon sein. Je me sens unifiée, réunifiée. En cet instant la peur disparaît et je me sens libre, incarnée. Ce registre s’accompagne d’une expérience de reliance au monde par toutes les cellules de mon corps. Mon corps s’inscrit dans une membrane qui me relie à l’humanité toute entière, sans entrave, sans limitation.
Séance 4 et 5
Cette fois-ci, je me sens « in utero ». La première information s’annonce encore comme un risque de la part de l’homme. C’est une vieille image qui s’estompe rapidement et je m’endors littéralement jusqu’à la fin de la séance. Un sommeil profond, sensible et satisfaisant dans un abandon complet du corps et de l’esprit. Abandonnée, le travail se fait.
Dans la séance qui suit, je perçois que je peux être immobile sans avoir besoin d’être impérativement mobile pour échapper à un « prédateur » réel ou fantasmé. J’étire mon corps avec une sensation d’immensité. Les images se bousculent sans que je cherche à en attraper aucune. Des éléments personnels arrivent avec des thèmes récurrents comme la fluidité, l’intention, la quête d’un après.
Une nouvelle compréhension vient à moi : la mort n’existe pas.
Elle n’est qu’une étape. Nous nous inscrivons dans un continuum, une transformation d’état mais certainement pas la fin. J’ai également la perception de percevoir à la fois le monde extérieur et le monde intérieur, reliés, sans rupture. Cette sensation me relie également à l’humanité tout entière.
J’ai vécu ce registre précédemment et là je précise mon ressenti et j’approfondis cette expérience afin qu’elle se grave en moi. Cette expérience du dedans et du dehors n’impacte pas mon intégrité. Qu’il est possible d’être heureuse tout le temps sans pour autant perdre ma vigilance sur ce qui me heurte dans le monde. Être alignée, tranchante comme l’épée tout en vivant la compassion et la joie. Sentiment paradoxal.
Des personnes de mon entourage apparaissent ou plus précisément les modalités de relation que j’entretiens avec elles. Quelque chose se détend, se relâche voire disparaît. Un grand vide m’entoure. Un vide porteur et fécond qui ouvre sur un autre possible de rencontres et d’échanges. Là je perçois l’homme non plus comme un ennemi potentiel mais comme un une altérité nécessaire à rencontrer et à expérimenter.
Dans ce moment de la flottaison, je ‘interroge sur la manière de l’exprimer plastiquement. Comment traduire ces expériences sans mot et pourtant profondément vivantes et me donnant accès à une réalité pertinente ?
Séance six
Cette séance se déploie en pensées plutôt qu’en images. Je réalise de la nécessité de porter mes projets jusqu’au bout sans me laisser embarquer par une forme de flottaison psychique, ce qui se mêle un comble moi qui suis en train de flotter. Je comprends aussi la nécessité du temps : le temps de l’intégration, le temps de la compréhension et de la transformation.
Avoir, recevoir, entendre (quelque soit le mot choisi) une révélation crée une césure, une déchirure dans le réel. Pour autant cette information a besoin de temps pour s’intégrer et se révéler pleinement dans mon quotidien. Nous devions avoir conscience de la notion de temps tout le temps et partout. Mais ce registre nous échappe car il nous ramène à notre finitude. À notre mort à venir. Mais comme aujourd’hui je sais que la mort n’existe pas et qu’elle n’est « qu’un » changement d’état, je peux accepter ce temps qui passe. »
Illustration de Marie – Edith Charni Robinne
Marie - Edith Charni Robinne
Artiste et exploratrice de la conscience
Après des études d’art et de communication, elle crée et dirige une agence de relations presse spécialisée dans l’édition. À 35 ans, elle reprendre des études et devient psychanalyste, tout en continuant son apprentissage artistique dans des ateliers d’artistes : Béatrice Bauer, Olivier Walh, Catherine Charlot et Sandrine Wely. Attachée au papier et à la couleur, Marie-Edith Charni Robinne s’interroge, dans sa pratique artistique, sur l’intériorité et la quête de sens. Son travail de création se développe à la fois comme champ d’expériences et de compréhension du monde.
En voyageuse immobile, elle dialogue en conscient et inconscient. À partir de 2009, elle expose dans différents salons professionnels et galeries : Salon de la peinture à l’eau, Paris Artistes ou la galerie Les vergers de l’art. Elle est invitée à installer son univers dans des expositions personnelles : Espace KKE, Atelier 41 et Atelier 36, Galerie Charlemagne ou l’Auditorium à Paris et en île de France.
https://charnirobinne.com/.